Constructivisme et formation à distance
La transition des instructivismes aux constructivismes
par les technologies de la communication au service de l'enseignement/apprentissage
à distance1
Angéline Martel
Télé-université
Introduction
À l'horizon des constructivismes
Constructivismes et technologies
Les difficultés de la transitions vers
les constructivistes
Conclusion
Bibliographie
Introduction
Dans le domaine de l'éducation, l'éducation
à distance tout comme l'éducation en général,
se développe une révolution, parallèle
et contingente au développement des technologies de
sorte que les technologies de communications se transforment
également en technologies des savoirs. Sur le plan
de la perspective sur les connaissances, nous sommes donc
témoins et agents de ce qui pourrait s'avérer
être un changement de paradigme : des instructivismes/béhaviorismes2
aux constructivismes/cognitivismes.
Tout au long des âges, les théories éducatives,
et les pratiques pédagogiques qu'elles ont légitimées,
ont souligné différents aspects du spectrum
apprentissage et/ou enseignement, et chaque culture a mis
l'accent sur ceux qui expriment ses propres valeurs. Le béhaviorisme,
par exemple, en mettant l'accent sur la formation d'habitudes,
a profondément influencé l'enseignement/apprentissage
des langues tout comme d'autres disciplines mais n'a pas explicitement
(ni implicitement, je crois) fourni de pratiques émancipatrices
pour les apprenants ; rappelons-nous l'âge d'or des
exercices structuraux en Amérique du Nord et en Europe.
Wilson (1996) offre une classification en quatre points qui
illustre bien l'accent historique des théories éducatives.
Il postule que la perspective sur la connaissance est cruciale
te fondatrice des pratiques. Ainsi,
- si l'on estime que la connaissance est une quantité
ou un paquet de contenu à être transmis, l'on
pensera que l'enseignement est un produit à être
livré (perspective traditionnelle et instructiviste)
;
- si, par contre, la connaissance est un état cognitif
que reflète le schéma ou les habiletés
d'une personne, alors l'enseignement offrira une série
de stratégies visant à changer ce schéma
individuel (le cognitivisme) ;
- si la connaissance est vue comme le sens que construit
une personne par interaction avec son environnement, l'enseignement
aura tendance à permettre à un apprenant de
tirer partie des ressources et des outils d'un environnement
éducatif riche (le psycho-constructivisme) ;
- si la connaissance est vue comme une enculturation ou
adoption et action, l'enseignement sera une participation
dans les activités quotidiennes d'une communauté
(le socio-constructivisme).
De la terminologie émerge donc la perspective historique
: de transmission d'informations à stratégies
d'apprentissage à environnement de ressources à
communauté d'apprentissage.
À l'horizon des constructivismes
Aujourd'hui, les théories d'apprentissage mettent
l'accent sur deux dimensions : la participation active à
des projets motivant et le travail en collaboration. Celles-ci
constituent les deux éléments les plus importants
des constructivismes : un fondement psychologique basé
sur les écrits de Jean Piaget et une dimension psychosociale
basée sur ceux de Lev. S. Vygotsky.
Le Tableau 1 contraste les constructivismes avec les tendances
(traditionnelles) précédentes que j'ai appelées
les instructivismes en raison de la prédominance qu'ils
accordent à l'instruction plutôt qu'à
l'apprentissage.
Tableau 1
Principes d'enseignement/apprentissage des pratiques
selon les constructivismes et les instructivismes
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Pratiques constructivistes
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Pratiques
instructivistes
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Dimensions individuelles
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1. Rôle de l'apprenant
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Constructeur actif de connaissances
Collaborateur parfois un expert
|
Personne qui écoute
Toujours un apprenant
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2. Conception de l'apprentissage
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Transformation de l'information en connaissance et
sens
|
Accumulation de l'information
|
3. Fondements cognitifs
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Interprétation basée sur les pré-connaissances
et les croyances
|
Accumulation basée sur l'information précédemment
acquise
|
4. Types d'activités
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Centré sur l'apprenant, varié, selon
les styles d'apprentissage
Relation interactive
|
Centré sur l'enseignant
Relation didactique
Même exercice pour tous les apprenants
|
5. Type d'environnement
|
De soutien
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Hiérarchique
|
6. Type de curriculum
|
Riche en ressources, autour d'activités
Fournit l'accès à l'information sur demande
|
Pré-établi et figé, fournit les
seules ressources nécessaires
|
7. Preuve de succès
|
Qualité de la compréhension et construction
de connaissances
|
Quantité d'informations mémorisées
|
8. Flux des activités
|
Auto-dirigé
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Linéaire et dirigé par l'enseignant
|
9. Évaluation
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En référence aux compétences développées
portfolios
|
En référence à l'information
Tests à questions courtes
Tests standardisés
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Dimensions sociales
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1. Conception des savoirs
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Comme un processus dynamique qui évolue dans
le temps et dans une culture donnée
|
Une vérité statique qui peut être
acquise une fois pour toute, indépendamment de
l'apprenant
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2. Rôle de l'enseignant/e
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Collaborateur, facilitateur, parfois un apprenant
|
Expert, transmetteur de connaissances
|
3. Accent de l'enseignement
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Création de relations
Réponse à des questions complexes
|
Mémorisation
Accent sur l'information
|
4. Actions principales
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Mis sur le travail en coopération
Développement de projets et résolution
de problèmes
|
Lectures et exercices individuels
|
5. Modèle social
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Communauté, sens de l'appartenance
Personnes qui agissent sur leur propre environnement
et n'en sont pas seulement dépendants
Développement de l'autonomie, métacognition
et réflexion critique
|
Salle de classe
Apprenants comme récipiendaires de connaissances
transmises
|
6. Rôle du ludique
|
Jeu et expérimentation comme des formes valables
d'apprentissage
|
Jeu = perte de temps
Expérimentation limitée
|
Outils et technologies
|
Variés : ordinateurs, lecteurs vidéo,
technologies qui engage l'apprenant dans l'immédiat
de leur vie quotidienne, livres, magazines, périodiques,
films etc.
|
Papier, crayon, textes, quelques films, vidéos,
etc.
|
© A. Martel, 2002
En résumé, le Tableau 1 montre que les constructivismes3
se rapportent à un paradigme éducatif post-moderne
qui postule que l'apprenant construit sa propre interprétation
des événements et de l'information. La connaissance
n'est pas figée une fois pour toutes. Des tâches
et les projets authentiques sont considérés
comme étant motivants. La collaboration constante est
une partie intégrale des pratiques.
Les instructivismes4
, d'autre part, se refèrent aux modes éducatifs
traditionnels basés sur le positivisme. Ils tentent
de cultiver chez l'apprenant des informations et des connaissances
qui sont vues comme « vraies » et sont
pré-construites indépendamment de l'apprenant,
de sa situation, de sa culture.
Quant au débat à savoir si les deux approches
sont incompatibles ou complémentaires (Wasson. 1996),
il me semble oiseux puisque nos pratiques et pensées
occidentales participeront de facto aux deux paradigmes pendant
un moment encore. Et, dans la réalité d'un cours
ou d'une salle de classe ou sur Internet, les deux types de
pratiques sont interconnectées, jamais pures, jamais
seules. Peut-être les pratiques engageront-elles une
synthèse.
Il est intéressant également de noter que les
constructivismes auront tendance à s'inspirer des courants
humanistes et de leurs théories de l'enseignement.
Ce fusionnement ne pourrait être mieux exprimé
que par Carl Rogers (1902-1987): « Je sais que
je ne peux pas enseigner quelque chose à quelqu'un,
je peux seulement fournir un environnement dans lequel il
pourra apprendre » qui parle d' « environnements »
d'étude bien avant que les constructivismes n'en adoptent
le terme en signe de respect pour l'apprenant.
Le fusionnement actuel des théories constructivistes
avec les humanismes offre une mise en perspective critique
sur la connaissance et le langage. Il permet de constater
que les significations sont historiquement situées,
construites et reconstruites par le langage. Et le discours
lie la connaissance et l'intérêt du locuteur.
Une réflexion critique stimule donc le dévoilement
de ces intérêts ; elle défie l'idée
qu'il existe une signification simple de la réalité.
Au lieu d'un projet paternaliste d'éducation, les constructivismes
se rapprochent alors des tendances émancipatrices et
d' « empowerment » en l'éducation.
Les constructivismes ouvrent également une porte interprétative
vers l'interculturalisme quoique cet aspect ne soit pas encore
théorisé. Les savoirs étant des constructions
de sens, il s'ensuit que chaque contexte social construit
ses propres connaissances sous la forme de culture. Les constructivismes
relativisent les savoirs en savoirs culturels, y compris la
langue.
Pour notre bien ou notre mal, l'histoire nous le dira, notre
monde occidental se dirige donc vers la construction en éducation
d'environnements technophiliques et constructivistes. Ce faisant,
nous soulevons la question éthique à savoir
si ce mouvement est souhaitable et valable pour l'être
humain et pour l'humanité. Force est pourtant de constater
que les constructivismes, par l'invitation à la réflexion
critique, s'avèrent mieux en mesure d'apprendre à
démasquer toutes formes d'oppression (sociales, économiques,
linguistiques, etc.) que ne le sont les instructivismes qui,
au contraire, confirment, affirment et perpétuent plus
facilement les statu quo oppressifs. En théorie donc,
on peut estimer que dans leurs principes, les constructivismes
constituent un progrès qu'il nous reste à réaliser
en pratique.
Si nous prenons pour exemple les théorisations pour
l'apprentissage/enseignement des langues (puisque c'est mon
domaine) mais une vérification dans d'autres domaines
pourra permettre de montrer que les langues ne sont pas isolées
en cette matières, elles ne se trouvent pas aujourd'hui
aux antipodes des mouvements constructivistes. Bien au contraire,
depuis le virage vers le communicationnel des années
1970, les écrits, tant pratiques que théoriques,
sont infusés de parcelles de théorisations constructivistes
qui tentent de :
Pourtant, les constructivismes ne sont pas nouveaux. Par
exemple, Rousseau et Montaigne ont préconisé
ses principes. Ce qu'il y a de neuf cependant, c'est la convergence
entre les courants humanistes en éducation et les constructivismes.
Ce qu'il y a de neuf également, c'est l'avantage que
les technologies fournissent dans des environnements et des
projets de type constructiviste.
Constructivismes et technologies
Les théories constructivistes de l'apprentissage font
l'objet d'intérêt accrus de la part des enseignants
et producteurs de matériel pédagogique dans
le cadre de développement technologiques5
. C'est d'ailleurs von Glaserfeld, l'un des théoriciens
des constructivismes, qui les définissaient ainsi en
1989 : « Constructivism is a theory of knowledge with
roots in philosophy, psychology and cybernetics. »
Aujourd'hui, de nombreuses recherches tentent de démontrer
que les technologies permettent une meilleure mise en uvre
des propositions constructivistes6.
Elizabeth Murphy a, pour sa part, dessiné une grille
d'évaluation pour faciliter ce changement de paradigme.
Cette grille est disponible sur Internet, dans sa version
anglaise originale. Je la reproduis ici avec une traduction
en français.
Tableau 2 : Constructivist checklist : Grille d'analyse
selon les principes constructivistes
|
Characteristics : Charactéristiques
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Supported/
Présent
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Not supported /
Absent
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Not observed /
Pas observé
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Multiple perspectives
Perspectives multiples
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Student-directed goals
Centré sur les objectifs de l'apprenant/e
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Teacher as coach
Enseignant/facilitateur/collaborateur
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Metacognition
Métacognition
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Learner control
Autonomie de l'apprenant
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Authentic activities & contexts
Tâches et contenus authentiques
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Knowledge construction
Construction des connaissances
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Knowledge collaboration
Collaboration
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Previous knowledge constructions
Connaissances antérieures
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Problem solving
Résolution de problèmes
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Consideration of errors
Utilisation de l'erreur
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Exploration
Exploration
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Apprenticeship learning
Apprentisage
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Conceptual interrelatedness
Mise en contexte conceptuelle
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Alternative viewpoints
Points de vue multiples
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Scaffolding
Construction sur le connu
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Authentic assessment
Évaluation authentique
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Primary sources of data
Sources premières
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Reproduit d'Elizabeth Murphy et Jacques Rhéaume, 1997,
en ligne http://www.stemnet.nf.ca/~elmurphy/emurphy/cle4.html
Traduction ajoutée.
Les difficultés de la transitions vers les constructivistes
Dans une analyse des pratiques d'utilisation des technologies
sur internet pour l'enseignement/apprentissage, (voir http://ourworld.compuserve.com/homepages/michaelwendt/Seiten/Martel.htm),
je conclu que la pensée imprimée et instructiviste
domine encore largement la production d'activités d'apprentissage
sur Internet. Les pratiques de la salle de classe sont transposées
de sorte qu'Internet sert toujours :
- de bibliothèque ;
- d'espace de travail de groupe (correspondants et travaux
collaboratifs) ;
- de communautés à explorer (les sorties dans
le milieu) ;
- de lieu de montage de spectacle (inclusion de l'image,
du vidéo, infographisme).
Internet ne sert donc pas encore d'environnement d'apprentissage.
Pourtant, les activités constructivistes sont de plus
en plus nombreuses. Elles ne sont pas encore dominantes mais
les efforts des auteurs sont manifestes. Et surtout l'attention
de plus en plus importante accordée aux principes constructivitstes
est manifeste.
Le panorama que j'y fais du français langue seconde/étrangère
sur Internet met également en évidence deux
aspects de ces apprentissages, deux aspects que nous retrouvons
également dans tous les autres domaines d'enseignement/apprentissage
:
- tout comme dans les manuels scolaires imprimés,
on y présente la langue comme un objet figé
à acquérir pour communiquer ; et
- le modèle de la salle de classe est remis en question.
1 Langue : entre savoir figé et interprétation
La plus grande différence entre les instructivismes
et les constructivismes repose sur le type de savoirs à
apprendre. Dans le cas qui nous préoccupe, il s'agit
de la langue française mais il en est de même
des autres types de savoir. Traditionnellement, en apprentissage/enseignement,
on aura tendance à considérer la langue comme
une information statique et figée qu'il faut acquérir
pour communiquer. Par association ou analogie, mots et sens
sont couplés et apprendre est l'acte d'acquérir
le sens par le mot. Tous les sites Internet que nous avons
présentés utilisent cette conception des savoirs.
Mais il existe une autre dimension culturelle qui vient renforcer
cette conception du savoir. Nous francophones avons traditionnellement
considéré notre langue comme étant un
outil de communication profondément normé. Au
cours des siècles, de nombreuses structures de normes
et de protection du français ont été
mises en place, en passant par l'Académie française
et la Loi Toubon (1993). Ainsi, la vision statique de la langue
que préconise l'instructivisme n'est pas le seul empêchement
à des pratiques constructivistes et dynamiques.
Pourtant, Vygotsky n'avait jamais conçu la langue
comme un objet figé. Bien au contraire, dans ses études
du lien entre le mot et le sens (1962), il opte pour une conception
interprétative (herméneutique) après
avoir rejeté les théories de l'association ou
de l'analogie entre pensée et langue :
The discovery that word meanings evolve leads the study of
thought and speech out a blind alley. Word meanings are dynamic
rather than static formations. They change as the child develops
; they change also with the various ways in which thought
functions.
The relation of thought to word is not a
thing but a process, a continual movement back and forth from
thought to word and from word to thought. (125)
L'enseignement des langues a historiquement connu des difficultés
à voir la langue comme un processus d'acquisition d'un
processus. Les approches communicatives ont avancé
sur ce plan, les approches constructivistes continuent cette
percée. D'ailleurs, Vygotsky explique que le blocage
vers ces approches plus dynamique se situe dans l'accent qui
est placé sur les éléments externes ou
phonétique de la langue :
A first thing such a study reveals is the need to distinguish
between two planes of speech. Both the inner, meaningful,
semantic aspect of speech and the external, phonetic aspect,
though forming a true unity, have their own laws of movement
.
In mastering external speech, the child starts from one word,
then connects two or three words ; a little later, he advances
from simple sentences to more complicated ones, and finally
to coherent speech made up of series of such sentences; in
other words, he proceeds from a part to the whole. In regard
to meaning, on the other hand, the first word of the child
is a whole sentence. Semantically the child starts from the
whole, from a meaningful complex, and only latter begin to
master the separate semantic units, the meanings of words,
and to divide his formerly undifferentiated thought into those
units. The external and the semantic aspects of speech develop
in opposite directions -one from the particular to the whole,
from word to sentence, and the other form the whole to the
particular from sentence to word.
The structure of speech
does not simply mirror the structure of thought; that is why
words cannot be put on by thought like ready-made garment.
Thought undergoes many changes as it turns into speech. It
does not merely find expression in speech; it finds its reality
and form. The semantic and the phonetic developmental processes
are essentially one, precisely because of their reverse directions.
De nouvelles recherches, inspirées par le concept
de zone de développement proximal de Vygotsky, ou par
la théorie de schema de Piaget, ont été
intégrées à l'apprentissage/enseignement
des langues, particulièrement en lecture et en acquisition
du vocabulaire (Carrell, 1988; Cicurel, 1991; Courchênes
et al. 1992). Il leur reste à influencer l'enseignement
sur Internet.
Mais de façon pratique, comment les activités
d'apprentissage/enseignement du français pourrait-il
prendre leurs distances d'une perspective figée de
la langue ? Je crois que tout d'abord, nous devons restaurer
comme étant légitime le constant processus de
traduction que vit l'apprenant en adoptant plus (mais non
exclusivement) une approche contrastive et comparative des
langues de départ et cible. Ensuite, nous devrions
encourager la création de cartes sémantiques,
de carte de conceptualisation grammaticales, de la perspective
de l'apprenant.
2 Le modèle de la salle de classe : de groupe à
espace commun pour des individus collaborateurs
Il a des siècles, l'organisation de l'enseignement
sur le modèle de la salle de classe faisait sens. Les
technologies alors disponibles, livres, tableau noir, plus,
etc. organisaient l'apprentissage en un seul lieux à
un moment donné (Downes, 1998). Au primaire, les classes
sont organisées par âge chronologique plutôt
que par les besoins des apprenants ou leur connaissances antérieures.
Au collèges ou à l'université, l'éducation
est encore dispensée selon des critères de temps
et livrent un curriculum standard pour des groupes d'apprenants.
Le modèle de la salle de classe repose sur la croyance
(nous pouvons difficilement l'appeler un constat) que si un
groupe commence ses études au même moment, étudie
le même matériel au même rythme et termine
en même temps, l'apprentissage sera efficace. Peut-être,
avec les technologies alors disponibles et avec les résultats
attendus, l'apprentissage était-il valable. L'efficacité
des coûts et des moyens reposaient surtout sur un enseignement
limitant la recherche de ressources. L'individualisation et
la personnalisation n'était ni pratiques ni possibles.
Aujourd'hui, toutefois, l'on se demande pour combien de temps
encore dureront les groupes de classe. La tendance est clairement
orientée vers une indépendance de l'espace (la
distance) et du temps (enseignement asynchrone) comme celui
sur Internet. Le modèle de la salle de classe demeurera-t-il
seulement comme artéfact administratif.
En réalité, la salle de classe est remplacée
par espaces communs qui sont des regroupements d'invidus collaborateurs
qui choisissent avec qui ils souhaitent interagir et travailler.
Des modes différents de collaboration sont observables
sur Internet :
deux individus sans contrôle externe
avec contrôle et correction linguistique
groupes sans contrôle externe (groupes de discussion)
avec contrôle et correction linguistique (groupes de
discussion avec monitoring)
avec un minimum de contrôle pour la correction linguistique
avec un minimum de contrôle pour la forme et le contenu
avec contrôle par la publication du travail
D'un point de vue pédagogique, Li et Hart (1996) ont
montré l'intérêt de chaque forme de communication
électronique : motivation et échanges spontanés
mais aussi les aspects plus formalisés de la publication
sur Internet. Ils concluent :
Both models (group discussions and publication-type models)
have their merits. The participatory, dialogue like nature
of the bulletin board was attractive, but in the end the publication
model seemed more appropriate for ESL learners because the
quality and grammatical accuracy of what they read would affect
the quality of their learning. (6)
Mais nos savoirs pratiques des communications les plus efficaces
ne fait que commencer. Après quelques expériences,
Haughty & Anderson suggèrent (1998, 72) notamment
que nous devons :
- fournir des informations contextuelles pour encadrer
les discussions;
- délimiter le thème et le temps consacré
à une discussion (jours, semaines) ;
- encourager l'inclusion de ressources provenant de la situation
(experts, expériences, etc);
- demander aux participants de fournir des interventions
courtes et précises;
- fournir régulièrement des résumés
des discussions.
De plus, les études ont montré que la participation
des apprenants était plus grande lorsqu'ils intervenaient
électroniquement. Dans une discussion en classe, l'enseignant
prend 85% des tours de parole alors qu'en mode asynchrone
l'apprenant prend 65% des tours d'écriture (Pratt &
Sullivan, 1994).
3. Insertion dans les cultures locales
Par ailleurs, une grande attention doit être apportée
à la communication interculturelle. L'on commence à
trouver sur Internet des textes à préoccupations
interculturelles. Par exemple, E.F. Sheridan, dans un article
intitulé Cross-cultural Web Site Design Considerations
for developing and strategies for validating locale appropriate
on-line content, en ligne à
http://www.multilingual.com/FMPro?-db=archives&-format=ad%2fselected%
5fresults.html&-lay=cgi&-sortfield=magazine%20number&-sortorder=descend&
-op=eq&Ad%20Type=reprint&-max=1817529521&-recid=33326&-token=%
5bFMP-currenttoken%5d&-find=
donne de nombreux conseils, ressources et exemples pour une
création attentive aux besoins interculturels.
Conclusion
Toutes nos réflexions gravitent autour de deux axes
de bouleversements. Tout d'abord celui de l'axe contrôle-autonomie.
Force nous est de constater que la tendance met de plus en
plus l'accent sur l'autonomie. Les constructivisme favorisent
un plus grand contrôle de l'apprenant sur ses processus
d'apprentissage (autonomisation), les technologies des communications
pluridimensionnelles accentuent cette prise de contrôle
individuelle. Ce déplacement confère une dimension
socioculturelle aux processus en cours, une dimension émancipatrice
des modes d'oppression. Reste donc à concrétiser
cette promesse que les technologies du savoirs mettent à
notre portée.
Quant au deuxième axe, celui de la distance-proximité,
il me semble conforter l'axe contrôle autonomie dans
la mesure où la distance permet également une
plus grande liberté et autonomie. Les individus sont
de moins en moins otages de groupes-classe constitués
par âge chronologique et limités à un
cheminement unique en face à face. Des modes d'intervention
hybrides émergent. L'un des défis qui sous-tend
cet axe est donc celui d'ordonner un juste équilibre
entre la collaboration que favorise la présence avec
l'indépendance que favorise la distance.
Bibliographie
Carrell, P, Interactive Approaches to Second Language Reading.
Cambridge : Cambridge University Press, 1988.
Cicurel, F, Compréhension des textes : une démarche
interactive. Le français dans le monde, 243, 40-46,
1991.
Courchênes, R, et al. L'enseignement des langues secondes
axé sur le compréhension. Ottawa : Presses de
l'Université d'Ottawa, 1992.
Haughey, M. & T. Anderson, Networked Learning. The Pedagogy
of the Internet. Montréal : McGrall Hill, 1998.
Li, Rong-chang et R. Hart, What can the world wide web offer
ESL teachers? TESOL Journal, 6 (2) 5-10, 1996.
Martel, Angéline. 2000. L'apprentissage des langues
par Internet. Transition par les technologies de communication.
Intercompreensão-Revista de Didáctica das Línguas
nº 8.septembre 2000.Santarém: Escola Superior
de Educação
Martel, Angéline. 2000. Constructing Learning with
Technologies. Second/Foreing Languages on the WEB. En ligne
à http://ourworld.compuserve.com/homepages/michaelwendt/Seiten/Martel.htm
Martel, Angéline. 1999. Formation et technologies
en Amérique du Nord : carrefour de mise à distance
et de proximité pour les langues. Études de
linguistique appliquée, Didier Érudition, 113,
13-30.
Martel, Angéline. 1999. Culturally Colored Didactics:
The sociopolitical at the heart of second/foreign langue teaching
in Francophone geolinguistic spaces. Instructional Science,
27: 73-96.
Martel, Angéline. 1998. L'apprentissage du français
sur Internet. Du montage de spectacle à une pensée
éducative-sur-le-WEB. Cahiers de l'ASDIFLE.
Pratt, E. & N. Sullivan, Comparison of ESL writers in
networked and regular classrooms. Communication au 28th Annual
TESOL Convention, Baltimore, 1994.
Vygotsky, Lev S, Thought and Language. Translated by E. Hanfman
& G. Vakar. Cambridge, Mass. The MIT Press, 1962.
Wasson, B, Instructional Planning and Contemporary Theories
of Learning : Is this a Self-Contradiction ? at http://www.ifi.uib.no/staff/barbara/papers/Euroaied96.html,
1996.
1 Angéline
Martel est professeure de sociolinguistique et de didactique
des langues à la Télé-université,
4750 Henri-Julien, Montréal, Québec, Ca.H2T
3E4. Courriel : [email protected] Elle est également
rédactrice en chef de la revue électronique
DiversCité Langues à http://www.uquebec.ca/diverscite
2 Ces termes
sont mis au pluriel pour bien indiquer qu'il n'existe pas
une seule théorie qui fonde l'instructivisme ou le
constructivisme. Il existe plutôt une constellation
de théories, jamais pures, qui reflètent cette
perspective.
3 Pour des références
sur constructivismes et applications pédagogiques,
voir :
http://www.stemnet.nf.ca/~elmurphy/emurphy/refer.html
;
http://carbon.cudenver.edu/~mryder/itc_data/constructivism.html
;
http://thorplus.lib.purdue.edu/~techman/conbib.html,
4 Dans cet article,
le béhaviorisme est considéré comme faisant
partie des théories instructivistes parce que, comme
ces dernières, il favorise un rôle autoritaire
pour l'enseignant/programmeur.
5 Pour une compilation
de textes sur les constructivismes, voir http://www.stemnet.nf.ca/~elmurphy/emurphy/refer.html
;
6
Les auteurs de la grille posent plusieurs mises en garde que
nous reprenons à notre compte : " The following
checklist is designed to serve as a simple instrument to observe
some of the ways in which these constructivist characteristics
are present in learning projects, activities and environments.
The observation should provide insights into the ways in which
constructivist philosophy translates into practice. The checklist
will only be applied to projects, activities and learning
environments which are presented online. For this reason,
and depending on how the projects are described, it may not
always be possible to observe all of the characteristics.
Many may only be evident in the actual classroom situation.
As well, certain projects may emphasize fewer characteristics
depending on the teacher and the group of students. For this
reason, the checklist serves a limited purpose. Nonetheless,
it should provide some insights into how constructivist concepts
might be operationalized in an instructional setting. "
Voir http://www.stemnet.nf.ca/~elmurphy/emurphy/cle4.html
et http://carbon.cudenver.edu/~mryder/itc_data/constructivism.html
© A. Martel, 2002
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